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Extractions de festival

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C’est une infusion aromatique dense que nous ont servis les chefs cette année au festival Omnivore. Et c’était rafraîchissant. Claps de faims. 

Il est 10 h 38, première journée du festival Omnivore, et déjà, on touche directement au cœur avec le premier chef à monter sur la Grande scène, Adrien Cachot, toujours en quête de la maison de ses rêves – « Je suis encore nulle part, donc partout » – et toujours aussi créatif. Il s’agit pour lui « de revenir aux fondamentaux des goûts du Sud-Ouest, mais avec la volonté de sortir des moules et de l’algorithme ». Ce sera avec des ris de veau, de Lozère, « le meilleur trouvé sur le marché », pour une recette de vol-au-vent, inspiré des ris aux champignons d’Alain Dutournier. Sauf que, sa brioche feuilletée est un pastel de nata, souvenir de vacances récentes au Portugal, les champignons de sa duxelle sont brûlés pour un maximum de goût, et ses ris sont confits après avoir été blanchis, limonés (dépiautés, pour faire simple) et rôtis avant passage en kakugama (la cocotte magique japonaise en graphite de carbone), sous des feuilles et des tiges de figuier, le tout arrosé au final au goutte-à-goutte spectaculaire d’une émulsion de café bullée à l’hélium. CQFD, la créativité par l’envie de quintessence des goûts, avec des ustensiles modernes. « Vous le déstructurez ? » demande Boris Coridian. « Non, au contraire, je veux lui donner encore plus de structure. » Ou comment se replonger dans les classiques bourgeois pour mieux s’en extraire et exprimer sa personnalité de cuisinier d'aujourd'hui. 

« Umami is like a feeling »

Les trente chefs qui se sont succédé sur cette grande scène n’ont eu de cesse de rappeler l’importance des « fondamentaux », de Cachot à Romito et son concept de stratification, en passant par les Decoret père et fils, Sébastien Tantôt, les Robert, ou encore Dylan Watson-Brawn avec son katsuobushi, fabriqué par une famille de Japonais qui en produisent depuis sept générations, et ses dashis philosophiques  – « Umami is like a feeling », a lâché le Canadien de Berlin – et intenses en goûts, et de nous démontrer que toutes leurs fantaisies, dans le sens des choses qui sortent de l’ordinaire et dont la valeur réside dans l’originalité, la nouveauté, ne seraient possibles sans ceux-ci. 
Ainsi, les consistances empilées de Niko Romito, « pour donner de la complexité ». Le chef italien n’a pas fait d’école de cuisine, donc il s’est senti d’autant plus libre de créer son langage de cuisine, notamment avec son menu végétal intégral – « pas pour la mode », mais bien parce qu’il est convaincu d’écrire un nouveau chapitre de la gastronomie ainsi. Sa carotte se présente sous forme de crème, rôtie, crue dans de l’extrait de carotte, acide dans un extrait, fermenté au pamplemousse, et en caramel de carotte.

Manger mieux demain

Elles sont venues soudées, à trois, pour défendre le bien manger carné sur la Grande scène. « Y a un ptit peu de gras quand même… », dit l’animateur. « Mais le gras ça veut dire que l’animal a été choyé, heureux… »
Le cochon, dont Marie-Victorine Manoa (Aux Lyonnais, Paris) apporte la tête sur scène, est d’Ardèche. Les abats qu’Emeline Aubry malaxe sous nos yeux pour ses « patacroûtes » viennent d’un élevage du Perche, de plein air, l’un des 2% existant en France, et dans le boudin de Laetitia Visse (La Femme du Boucher, Marseille), on trouve l’oreille, le masque, la langue et la joue de la bête, et du sang pour lier. Du sang ? « Si votre boucher ne vend pas de sang, c’est qu’il n’est pas un bon boucher. » Na.

Tartelette au tartare d'Aubrac élevé par Olivier Velut, et son katsuobushi de bœuf maturé,
par Florent Pietravalle (La Mirande, Avignon).

On a religieusement écouté un vrai de vrai pour le coup, sur la scène Artisan le lundi en fin d’après-midi. Dans le discours d’Olivier Velut, boucher-éleveur aveyronnais avec lequel travaille depuis cinq ans le chef de la Mirande, Révélation Omnivore 2021, Florent Pietravalle, on a entendu l’application réelle de la « bientraitance animale » dont on avait entendu parler la veille lors du Grill d’Écotable au Forum. « Je recherchais une régularité et une façon d’élever propre », raconte le chef. Il a trouvé Olivier, qui pratique un élevage respectueux, ne tétanise pas les bêtes après la mise à mort, ce qui donne une viande 10 à 15 fois plus tendre de fait et le suit dans ses expérimentations diverses de maturation pour mieux valoriser les bêtes, de ses morceaux nobles ou moins nobles. Sur scène, un paleron, bas morceau cantonné au pot-au-feu devenu un morceau noble avec 9 semaines de maturation signée Pietravalle. 
De la bientraitance, il y en eut dans le discours de Morgan Louche également, qui laisse circuler ses gauloises noires (à pattes bleues, pondeuse d’œufs d’un blanc immaculé) en toute liberté en Bourgogne – « En termes de densité, mes poules ont plus d’espace que celles des élevages en bio » – en les nourrissant correctement, sans antibiotiques, même s’il se sent « un peu étouffé par les réglementations », qui ne font pas de nuance entre les éleveurs intensifs et lui. Pour avoir goûté les pattes, les suprêmes et les œufs de Morgan, cuisinés sur scène par le premier chef qu’il a approché, Jean-Michel Carrette (Aux Terrasses, Tournus), on ne peut qu’être sur sa ligne et espérer une réflexion constructive sur le « moins produire mais mieux, et diversifier les productions ». Olivier Velut lance un pavé dans la mare également en envisageant, pourquoi pas, des labels de la tête à la queue, avec des bouchers plus transparents pour mieux éduquer les consommateurs et les éleveurs sur le sujet. 

Infusion

Autre sujet transversal ces trois jours durant : la valorisation du produit boudé et de son biotope. Axel Mbetcha au Forum a bien résumé l’histoire avec un bon vieux tubercule, le manioc. « On (les Africains) a tous du manioc, mais on a tous des manières différentes de le valoriser, de le cuisiner… »
Cette préoccupation a été démontrée sur scènes, grâce à Nicolas Darnauguilhem, « flanqué dans la nature », qui ne travaille que des poissons lacustres et la race Hintervald pour la viande dans ses Alpes suisses ; la triplette de cheffes « Paris-Marseille » venues avec leur tête de cochon ; Jérôme Jaegle (Alchémille, Kaysersberg) sur deux scènes, la Grande et l’Artisan, avec son silure, sa carpe, son brème et son barbeau du Rhin. Et que dire d’Hubert Vergoin (Substrat, Lyon), venu avec son… substrat de champignons shiitake, sa brochette de pleurotes laquée tonkatsu, son garum de champis sur un lit de koji de riz ? Nous, on dit « Génie ». Et merci surtout. 

Dans la droite ligne de ce qui nous a été proposé trois jours durant, c’est une infusion aromatique dense, et pas une réduction de la cuisine, que nous ont servis les chefs cette année. Et c’était rafraîchissant.

Audrey Vacher
© Florian Domergue

Piochez dans la rubrique Replay pour voir ou revoir les masterclass de la Grande scène.

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