Please ensure Javascript is enabled for purposes of website accessibility Sébastien Tantot, de lumières et d’ombres | Sirha Food

Sébastien Tantot, de lumières et d’ombres

arrow
Article précédent
Article suivant
arrow
arrow
Article précédent
Article suivant
arrow

Pour préparer son premier festival Omnivore au gouvernail de la Grande scène, Aitor Alfonso est allé se balader dans le Nord. Extraits de ses carnets de route, des impressions et une rencontre.

Il était une fois une auberge enchantée. Dans son jardin coulent les pleurs d’un grand saule. On entre là dans le territoire magique du phénomène Sébastien Tantôt, cuisinier aux allures de poète romantique et à la sensibilité à vif. Car si Google Maps nous dit que l’on se trouve physiquement dans le village de Saint-Jean-aux-Bois, l’imagination vogue de monde en monde dans un palpitant multivers culinaire. Essayons d’en cartographier quelques éléments. 

C’est Julien Sorel qui ouvre un restaurant 

Dans l’antichambre de la salle à manger se tient un bar qui sent son siècle dernier. On imagine Agatha Christie assise là à siroter une liqueur de menthe. Au premier coup d'œil, on se dit (à tort ?) qu’il y a quelque chose d’anglais dans cette manière de tenir l’équilibre fragile entre l’élégance et le kitsch. Autre signe d’un humour diffus: on est accompagnés à notre table par des serveurs en complet de tweed gris et nœud papillon. Dans la salle sans âge, une ambiance de Cluedo. Et dans un anneau argenté est enroulé un menu rêveur et mélancolique, habité par des plats de génie et des esprits gothiques. 

D’ailleurs, certaines propositions évoquent davantage Tolkien qu’Escoffier, comme cet Isengard, forteresse de foie gras et anguille où volettent vingt-et-un papillons, à déconstruire à la cuillère. Plus loin, c’est un Miruvor, boisson fictionnelle du Seigneur des anneaux que Tantot interprète au miel et au miso. Clou du spectacle, on nous sert un bluffant filet de sandre contisé d’asperges blanches comme un livre blanc, escorté d’un mazout de champignon, sombre et pétroleux en diable. Où l’équilibre entre la fadeur et la surpuissance se dessine à la pointe du couteau à poisson. Manger, ce serait écrire son propre plat ? 

Mystique mastication

Il y a des repas que l’on voudrait exprimer en intensités lumineuses. Chez Tantot, c’est d’abord le diaphane que l’on voit miroiter à table. En amuse-bouche, une cuisse de grenouille étalée comme une feuille translucide de papier bible ; plus loin, un hommage aux vitraux de l’abbaye de Saint-Jean-aux-Bois où le chef va se recueillir tous les matins. Cette délicatesse évanescente déroule aussi une métaphore textile, filée en pelote d’asperges dans un bouillon cristallin et en pompon de beurre vertical – on ne sait si en hommage à la haute couture ou au cousin Machin de la famille Addams… 

Car soudain, Tantot quitte les surfaces lumineuses pour nous engouffrer dans des profondeurs de crypte. Un menu comme une balade dans l’abbatiale voisine et dans les tréfonds d’une âme. On plonge alors dans les jus ténébreux qui jouent magistralement du trop (trop corsé, trop salé, trop puissant), telle cette sauce réduite de légumes sur un gisant de Saint-Jacques, méphistophélique ! On passe là deux longs plats, à regarder le Mordor en face. Puis on remonte à la surface de l’église avec un origami de brochet comme une prouesse de tailleur. Une texture velourée qui nous rappelle que le sens du toucher est aussi le fait du palais et de la langue. Et enfin, dans cette ascension finale, on termine par un froufrou de sucre transparent recelant un sorbet citron-persil, comme une ultime trouée de lumière. 

On ne fait que dessiner les contours culinaires d’un établissement qui a les défauts des premiers opus : une tendance à vouloir tout y mettre, fougueux à en faire un peu trop dans le déroulé des plats et pas assez sur une carte des vins curieusement conventionnelle. Mais quelque chose de grand se joue déjà dans cette auberge en lisière de forêt de Compiègne, où la cuisine confine au mysticisme. 

Aitor Alfonso

 

Sébastien Tantot sera sur la Grande scène d’Omnivore Nord le 30 avril de 17:15 à 17:50

Auberge À la Bonne idée3 rue des Meuniers, 60350 Saint-Jean-aux-Bois
 

arrow
Article précédent
Article suivant
arrow

Dans la même thématique